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Les Azzurre viennent de terminer un stage à Parme. L’Italie, 7e équipe au classement féminin mondial, se prépare pour le tournoi qualificatif de la coupe du monde 2022 en Nouvelle-Zélande.

Quelle est la situation du rugby en Italie ? Quel bilan dressent les italiennes de leur dernier tournoi des six nations ? Quels sont leurs prochains objectifs ? Beatrice Rigoni, demi d’ouverture et Ilaria Arrighetti, 3e ligne, nous dressent un panorama du rugby italien.

Qui est Beatrice Rigoni ?

Beatrice Rigoni, a 25 ans et déjà 46 sélections. La demi d’ouverture débute le rugby à 6 ans à Petrarca pour imiter ses frères. Lorsqu’elle ne peut plus évoluer en équipe mixte, elle intègre l’équipe féminine du Valsugana Rugby Padova. A peine deux ans plus tard, elle commence déjà à jouer avec l’équipe sénior avec laquelle elle gagne 3 fois le championnat italien. A 18 ans, elle obtient sa première cape pour son premier tournoi des Six Nations. Hélas, lors du dernier match, elle se blesse au genou ce qui l’écarte des terrains pendant quelques temps. A son retour, elle fait également son entrée avec le 7s italien.

Beatrice Rigoni. Crédit photo : fédération italienne de rugby

Qui est Ilaria Arrighetti ? Ilaria Arrighetti a 28 ans.

Elle débute le rugby à 14 ans après avoir fait un essai pendant un cours d’EPS au collège. Elle s’inscrit alors au club de Cernusco Rugby, près de Milan, où elle est la seule fille et capitaine d’une équipe mixte. A l’âge de 15-16 ans, lorsqu’elle ne peut plus jouer avec les garçons, elle rejoint l’équipe féminine de Monza Rugby. En mars 2012, à tout juste 19 ans, elle débute sa carrière internationale lors du match Italie-Ecosse. A la fin de la saison 2013-2014, elle devient championne d’Italie avec son club de Monza. En 2016, la 3e ligne italienne s’installe en Bretagne pour rejoindre le stade rennais et se concentrer davantage sur le rugby.

Le rugby italien, un sport en quête de popularité

Le rugby italien n’est pas au même niveau de développement que son homologue français. Cela s’explique déjà par un déficit de popularité par rapport à la France. Comme Beatrice Rigoni, demi d’ouverture de l’équipe italienne, le résume :  “le rugby est un sport de niche en ce moment“. Ainsi, le rugby féminin est peu connu.

De plus, les médias italiens ne diffusent pas le championnat. Et seuls les abonnés d’Eurosport peuvent suivre les matchs du XV italien. Cette absence de couverture médiatique grand public n’aide pas à populariser ce sport auprès d’un public néophyte.

Un manque d’effectifs dans les clubs

Le rugby n’étant pas très populaire, il attire peu de jeunes filles et de femmes. Cependant, la dynamique actuelle est positive. Pour Beatrice : “nous sommes encore dans la période où nous essayons d’élargir la base, dans le but d’élever le niveau technique”.

Ilaria, qui connaît bien la France puisqu’elle joue à Rennes depuis 2016, ajoute : “ici, la base des personnes qui jouent au rugby est beaucoup plus large qu’en Italie, et notamment pour les féminines. Cela aide beaucoup au développement du rugby féminin en France“.

Crédit photo : federazione italiana rugby

Un championnat réduit et de niveau hétérogène

A cause du manque de joueuses, les clubs italiens ont du mal à constituer des équipes à XV et alignent plutôt des 7s ou des X. Ce nombre réduit de XV féminins a un impact sur le niveau général du championnat : “on va dire qu’il y a un championnat et demi en Italie, explique Ilaria. On n’a pas d’Elite 1, d’Elite 2, etc.“.

Il est déjà difficile de pratiquer un sport au niveau amateur en général, complète Beatrice. Et en ce qui concerne le rugby, il faut avoir la chance d’habiter proche d’un club structuré comme le mien (Valsugana Rugby Padova) ou sinon, il faut être prête à faire de grands sacrifices pour pouvoir jouer“. C’est surtout le cas pour les joueuses qui n’ont pas la chance de vivre dans les régions du Nord où se trouvent les deux ou trois équipes qui surclassent largement les autres.

Un accompagnement balbutiant de la part des clubs

Le niveau des joueuses italiennes est aussi lié à leurs conditions d’entraînement. Pour Ilaria, les françaises ont un avantage sur leurs voisines transalpines : “en plus du nombre de joueuses, il y a beaucoup de compétences au niveau des entraîneurs français – ce qui n’est pas toujours le cas en Italie. Avoir des personnes compétentes et de bonnes installations, ca permet de bien travailler et de progresser“.

Au niveau de l’accompagnement sur le volet social, la situation est disparate selon les clubs : “dans le meilleur des cas, le club accompagne les filles dans la location de leur logement ou pour trouver un emploi” témoigne Beatrice, qui a la chance d’évoluer dans l’un des meilleurs clubs italiens.

Alors évidemment, compte-tenu de ces éléments, les italiennes ont tendance à venir au rugby sur le tard et à jouer “surtout pour le plaisir ou pour retrouver leurs copines, mais pas aussi sérieusement que ça“, conclut Ilaria.

Des internationales italiennes dans le championnat français

Depuis plusieurs années, des azzurre tentent leur chance dans les clubs d’Elite 1. Actuellement, il y a des internationales au Stade Toulousain (Valeria Fedrighi), à l’ASM Romagnat (Sara Tounesi et Francesca Sgorbini), au Stade Rennais (Ilaria Arrighetti et Melissa Bettoni) et au FC Grenoble (Silvia Turani). Selon Ilaria, les pionnières ont tracé le chemin pour les autres : “les premières joueuses italiennes, attirées par un championnat français plus relevé, ont bien aidé. Elles ont montré qu’elles avaient pu bien s’intégrer“.

C’est ce qui a poussé Ilaria à tenter l’aventure française en 2016. A l’époque, elle arrive à la fin d’un cycle universitaire avec sa licence de lettres modernes en poche. Jusqu’alors, même si elle y consacrait beaucoup de temps, elle considérait le rugby comme une activité à côté de ses études. Mais en 2016, Ilaria change de perspective : “j’ai eu envie de me tester, de voir jusqu’à quel point je pouvais m’engager dans ce sport, jusqu’où j’étais capable d’aller d’un point de vue rugbystique“. Des compatriotes installées à Rennes lui tendent une perche et c’est ainsi qu’elle rejoint courageusement le club breton, alors qu’elle ne parle pas un mot de français.

Crédit photo : Federazione Italiana Rugby

L’entraînement des bleues d’Italie

Le système de formation avec le Pôle France n’a pas d’équivalent en Italie. Il n’y a pas non plus de Marcoussis italien, c’est-à-dire des installations totalement dédiées aux équipes nationales. Cependant, les italiennes se retrouvent plusieurs fois par an pour effectuer des stages à Parme, en Emilie-Romagne. Là-bas, les Zebre, une équipe italienne jouant en pro 14 et coupe européenne, partagent avec elles leurs très bonnes infrastructures. Les internationaux masculins, quant à eux, s’entraînent à Rome.

En général, les azzurre se retrouvent en stage vers la mi-janvier et en pointillé pendant le tournoi des Six Nations. En effet, comme l’indique Ilaria Arrighetti, les joueuses italiennes n’étant pas professionnelles, “on ne reste pas un mois ensemble sinon nos employeurs ne sont pas contents“. Elles se retrouvent en septembre-octobre, en amont des deux matchs amicaux qu’elles jouent sur la période.

Cette année, le XV italien est entièrement tourné vers le tournoi qualificatif à la Coupe du Monde 2022 en Nouvelle-Zélande.

Les prémices de la professionnalisation des internationales

Comme on l’a vu, le championnat italien est totalement amateur. Mais récemment, les internationales italiennes ont obtenu une première reconnaissance importante. “Depuis cette année, on a ce qu’on appelle une « borsa di studio » (littéralement : bourse d’étude), et on a transpiré pour l’avoir !“, indique Ilaria. Il ne s’agit pas d’un contrat fédéral, comme pour les internationales françaises, mais d’une aide financière d’un montant inférieur à un mi-temps italien. Elle est versée à 15 joueuses qui doivent respecter certaines conditions, comme celle de jouer dans le championnat italien, par exemple.

Le XV italien en plein essor

L’Italie est 7e au classement mondial – après un passage assez bref en 5e position. En 2019, elles terminent 2e du tournoi des Six Nations en battant la France. Année après année, l’équipe italienne poursuit son développement.

Pour Beatrice Rigoni : “l’évolution de notre jeu est liée au fait que le noyau dur de l’équipe a grandi ensemble et est parvenu à produire un bon rugby. Et les jeunes qui sont arrivées ces dernières années sont toujours parvenues à se mettre au niveau”.

Crédit photo : federazione italiana rugby

Un bilan assez positif du tournoi des Six Nations 2021

Cette année, les italiennes ont montré de belles choses. Tout d’abord, elles ont tenu tête aux anglaises pendant les 50 premières minutes avant de subir la supériorité physique du XV de la Rose. Elles se sont facilement défaîtes des écossaises mais s’inclinent face aux irlandaises lors du dernier match.

Beatrice dresse le bilan de la squadra azzura : “Nous sommes probablement l’équipe la moins physique du tournoi et nous devons nous baser sur notre jeu à la main. Lorsque nous parvenons à exprimer notre jeu, nous sommes souvent efficaces. Mais nous avons eu du mal à nous adapter à une incroyable pression défensive irlandaise“.

Il faut préciser qu’à cause de la crise sanitaire, le match contre les anglaises était le premier depuis une année pour bon nombre de joueuses italiennes. “Avec la crise du Covid, ca faisait un an que les filles s’entraînaient seules, en suivant des programmes individuels en salle de musculation. Donc déjà, ce qui est positif, c’est qu’on s’est bien retrouvées, on a retrouvé nos automatismes, notre jeu en général“, se félicite Ilaria Arrighetti. Mais selon elle : “on aurait dû davantage profiter de ces 3 semaines de bulle pour mieux préparer notre confrontation contre l’Irlande. On a pêché parce qu’on s’est reposées sur nos bonnes prestations des deux premiers matchs. Mais bon, globalement, le bilan est quand même positif”.

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Des joueuses italiennes qui s’illustrent

Lors de ce tournoi des Six Nations, certaines joueuses ont marqué les esprits. C’est le cas, par exemple, de Beatrice Rigoni élue joueuse du match Italie-Ecosse et nominée pour le titre de meilleure joueuse de la 3e journée aux côtés de sa compatriote Manuela Furlan. De son côté, Ilaria Arrighetti fait partie de l’équipe des champions et de l’équipe de la 3e manche de Maggie Alphonsi.

Pour Beatrice : “ce sont certes des récompenses appréciées, mais notre force, c’est le groupe. Et la bonne performance de l’une est le fruit du travail des autres“. De son côté, lorsque Ilaria a vu son nom dans l’équipe de Maggie Alphonsi : “ça m’a fait plaisir, bien sûr, mais je me suis dit qu’elle s’était trompée (rires). Surtout que la première fois, elle m’avait placée en numéro 4 [Ilaria joue 3e ligne]“. En tout cas, Beatrice abonde dans le sens de Maggie car pour elle, Ilaria est sa meilleure joueuse du tournoi.

Un XV très soudé et tourné vers la qualification à la Coupe du Monde

Lorsqu’on voit jouer l’Italie, on est frappé par le plaisir qu’elles semblent éprouver à évoluer ensemble. Le groupe paraît en effet très soudé. Beatrice est d’accord avec cette analyse : “ce qui transparait est la vérité. Nos liens hors du terrain, notre connexion, nous permettent très souvent de faire des choses que nous ne serions pas en mesure de réaliser si nous n’avions pas cette connexion”. Pour Ilaria : “on vit notre passion ensemble et en fait, on est des filles sincères, on est sympas ! On est un groupe très fort, très courageux, très uni et qui peut aller loin“.

Et en ce moment, toutes les “bleues” d’Italie sont tournées vers un seul objectif : se qualifier pour la coupe du monde en Nouvelle-Zélande lors du tournoi qualificatif en septembre prochain ou lors du tournoi de repêchage.

On leur souhaite bonne chance. Forza azzurre !

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