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Clémence Gueucier et Rose Thomas nous livrent leurs impressions avant le démarrage des JO.

Le profil des expertes

Clémence Gueucier, ancienne internationale 7s, a fait partie de la première vague de contrat pro en 2014. Elle clôture sa carrière internationale en 2017 mais continue de jouer en Elite à Bobigny. Elle a passé un diplôme de préparation mentale et a basculé progressivement de l’autre côté du terrain, en devenant entraîneur du groupe France 7s développement et France 7s U18. Elle est également manager de la toute nouvelle académie espoir d’Aulnay.

ROSE THOMAS rugby feminin


Rose Thomas, ancienne internationale 7s, est la première (avec Fanny Horta) à avoir obtenu un contrat pro en 2013. L’année suivante c’est 16 contrats qui ont été mis en place. Cette pionnière a fait partie de l’équipe type jusqu’à son arrêt international, un an après les JO de Rio. Elle n’a pour autant pas quitté les terrains et elle joue maintenant au Stade Bordelais.

Souvent troisième au classement World Series (6 fois 3ème, 1 fois 2ème et 1 fois 4ème), médaillée de bronze aux JO de Rio, est ce que cette année les canadiennes pourront rivaliser davantage et avoir mieux qu’une médaille de bronze ?

Clémence : Malheureusement pour elles, je ne vais pas leur souhaiter car elles sont dans la poule des Françaises ! Je ne leur souhaite pas de mal non plus mais j’espère que les françaises vont finir première de poule, forcément derrière ça leur complexifierais leur parcours.

Le Canada, c’est une équipe qu’on a mis très longtemps à réussir à battre, on perdait très régulièrement en petite finale France-Canada, souvent sur le fil en plus. Depuis quelques années, on les bat de manière plus régulière.

C’est difficile aujourd’hui d’avoir une vision assez claire des choses, on connait la hiérarchie habituelle mais ça va faire un an et demi qu’il n’y a pas eu de World Series. C’est très compliqué de savoir comment la pandémie a été gérée dans chaque pays, comment les équipes ont réussi à s’entrainer chacune de leur côté, puis ensemble. On s’entraine beaucoup, fort, mais la vérité c’est la compétition, l’opposition. Ça va être des jeux olympiques très particuliers, on va découvrir au moment des jeux, l’état de forme de chacun. En un an et demi, tu peux travailler dur, tu peux avoir eu des progrès forts dans certains secteurs, avoir un style de jeu complètement différent. C’est un peu le kinder surprise, les jeux ! on va ouvrir le paquet et voir ce qu’il y a à l’intérieur.

Bien sûr, il y a des équipes qui ont toujours cette constance, cette régularité sur le haut du tableau, la NZ, l’Australie, les USA, le Canada et la France. Cela fait déjà 5 équipes pour 3 médailles. Il faut aussi ajouter la Grande-Bretagne et la Russie qui sont des équipes très compétitives, les Fidji qui sont toujours capables de sortir un tournoi de dingue. Je pense que cela va être des jeux assez ouverts. C’est chouette !

Rose : Sur les jeux, le fait d’avoir le Canada dans notre poule, je pense que du coup, ça va nous donner une envie supplémentaire. Parce qu’on perd contre elles en quart, aux premiers jeux, et je pense que les filles auront toutes en tête – même celles qui n’ont pas joué Rio – de ne pas réitérer. Même si c’est moins grave de perdre en poule, mais l’objectif c’est de tout gagner. Je pense que c’est un mal pour un bien de les avoir dans notre poule.

Quelles sont les joueuses clés de leur équipe ?

Clémence : Elles ont une belle équipe, compétitive et équilibrée. Karen Paquin est une joueuse très performante qui avait arrêté un moment mais elle est revenue.

Charity Williams est très rapide mais nous aussi on a des filles rapides en face donc je ne la trouve pas trop inquiétante.

Brittany Benn, Breanne Nicholas sont des très bonnes joueuses également, qui jouent juste. Evidemment la capitaine Ghislaine Landry, elle a un bon jeu au pied, elle trouve les espaces libres.

Breanne Nicholas à Clermont. Photo Didou17

Le coach Canadien en place depuis 10 ans a démissionné, les joueuses (anciennes et actives) se sont exprimées publiquement sur la santé mentale et le harcèlement qu’elles ont subi. Les joueuses encore avec l’équipe nationale ont dit que changer le système était plus fort que leur rêve olympique. C’est poignant. Tout cela qui sort juste avant les JO. Quels impacts cela peut avoir sur leur équipe ?

Clémence : C’est délicat car nous on lit les articles à distance, on n’a pas vécu le truc. Forcément cela a chamboulé leur organisation, leur manière de fonctionner, ça c’est une évidence. A priori, de ce qu’on en lit, ça a dû permettre aussi une forme de relâchement psychologique, une forme d’apaisement. Comme ça de l’extérieur, on aurait plutôt tendance à penser que cela va être un levier motivationnel fort. Maintenant qu’elles ont lâché cette pression dont elles parlent, tout va être orienté sur le rugby. Ce changement fort, cette libération de la parole peut être bénéfique pour elles. Ça peut les motiver et les libérer.

Après changer de coach sur une période où tu ne peux pas t’étalonner car pas de tournoi, ce n’est pas évident. 

Est-ce un sujet dont vous avez parlé entre joueuses en France ?

Rose : On a des joueuses à Bordeaux qui sont du Canada et Karen Paquin qui vient jouer avec nous l’année prochaine. Donc on en a pas mal parlé. Je pense que ce qui s’est passé dernièrement les a soudées encore plus. C’est comme pour tout, il y a des gens qui arrivent à trouver des motivations qui les animent vraiment au plus profond, et je pense que ce qui s’est passé là va faire partie de leur motivation.

De ce que j’en comprends, cette histoire était nécessaire pour l’avancée du collectif. Et même si elles n’ont pas eu gain de cause, le fait de pouvoir en parler, ça a été un soulagement pour beaucoup de joueuses.

Clémence, quel regard portes tu par rapport à ce sujet avec ton rôle de coach de ton côté ?

Clémence : en tant que manageur d’une académie pôle espoir, ce sont des sujets que l’on aborde de manière générale. Le harcèlement, toutes les déviances qu’il peut y avoir, prises de produits, ce sont des sujets que l’on aborde dans la formation de la joueuse.

As-tu une anecdote à nous partager d’un match contre le Canada ?

Clémence : Le mari de Karen Paquin, Julien, est français et il est très ami avec la fille qui était notre agent de liaison. On jouait à Landford et Julien, qui est du Sud-Ouest, avait passé pas mal de temps dans la semaine avec nous. A l’époque il y avait une grosse rivalité avec le Canada sur le plan du jeu, et lui était avec nous à nous faire visiter. Il était partagé entre la France et le Canada, il nous supportait mais supportait aussi l’équipe de sa femme, le Canada. Sur le match France-Canada, il a fini par choisir d’encourager sa femme. Il nous a quand même avouer que si on avait gagné il aurait été content aussi. Il avait son cœur en balance, d’un côté français, d’un côté canadien. Ça avait été marrant.

Infographie : Les cinq derniers matchs France – Canada