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Lenaïg Corson est une figure importante du rugby. C’est aussi une athlète et une femme engagée qui porte des idées et espère faire évoluer les consciences.

Lors des deux premiers articles, nous avons parlé professionnalisation des joueuses et du championnat et engagement écologique. Dans ce troisième chapitre, Lenaïg nous livre son point de vue sur l’engagement citoyen de la sportive et nous parle de son combat « féministe », de l’égalité femmes-hommes.

Des athlètes comme Megan Rapinoe, Naomi Osaka, Serena Williams ou d’autres s’engagent sur des sujets sociétaux (égalité femmes-hommes, racisme, homophobie, etc.). Est-ce qu’une athlète de haut niveau peut ou doit porter des messages politiques ?

“Quand j’ai communiqué sur l’environnement sur les réseaux sociaux, je ne l’ai pas fait pour ça. J’ai parlé de ces sujets parce que j’y crois, parce que je suis engagée à titre personnel. Communiquer dessus, c’était l’étape d’après et celle que j’avais le plus de mal à faire parce que je ne me sentais peut-être pas légitime. Je me disais que c’était peut-être pas à moi de le faire. Même mes parents étaient plutôt frileux que je communique dessus, on ne me poussait pas vraiment à le faire“.

As-tu beaucoup hésité à parler de toi autrement qu’à travers tes performances sportives ?

“Oui, j’ai beaucoup hésité avant de poster cette vidéo sur les réseaux sociaux. C’était une réelle prise de position sur un sujet autre que le rugby ou le sport féminin. Je suis connue pour être une joueuse et j’avais peur de ne pas être comprise si je parlais d’autre chose, ou qu’on me renvoie que mon rôle n’était pas là.

Donc voilà, j’ai hésité. Mais, je me suis dit que si personne ne le faisait, qui le ferait ? Alors je me suis lancée, sans chercher à donner de leçon. Je ne me permettrais pas de dire “moi je fais bien et pas vous”. Mais l’idée c’est de dire que plus on sera nombreux et mieux ça sera. C’est un peu comme au rugby finalement. C’est un projet commun qu’on doit avoir. Prendre tous conscience qu’on a qu’une seule planète et que plus on sera nombreux à faire des choses dans son quotidien, plus ca sera bénéfique pour la planète et pour les humains.

Et finalement, ça s’est révélé positif. J’ai vu que les gens étaient réceptifs et je me suis dit que mon rôle pouvait aussi être celui-là, d’éveiller les consciences, de sensibiliser”.

Est-ce que c’est pas aussi le rôle des athlètes, comme de tout citoyen, de s’engager sur des sujets de société ?

“Oui, finalement, parce qu’aujourd’hui, nous les sportifs, on a de la chance. On a une image positive parce qu’on véhicule des émotions aux gens à travers le sport. On est visibles et cette visibilité là et on a envie de la mettre un peu à profit pour des engagements qui nous tiennent à cœur.

Après, le problème c’est qu’on est vite catalogué. Moi ça y est, je suis vue comme écolo ! On me place dans cette catégorie et je déteste qu’on mette des gens dans des cases. Mais malheureusement, c’est ce que font les gens et on ne pourra pas les empêcher de penser comme ça”.

Tu es aussi très engagée dans le développement du rugby féminin et l’égalité femmes-hommes. On en est où niveau égalité dans le rugby ?

“Malheureusement, la femme est habituée à beaucoup d’inégalités depuis très très longtemps. On part déjà de ce constat là. Mais step by step, on arrive à avoir un peu plus tous les ans, parce qu’il y a des femmes qui se battent, parce qu’il y a aussi des hommes qui ont envie de défendre les femmes.

Aujourd’hui, on a envie de croire, de manière utopique, à l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais il y a tellement de choses qui nous rappellent qu’on est des femmes. On est un peu rabaissées, on n’a pas notre mot à dire, on subit des clichés. On nous a appris à moins oser aussi. Et puis, on a une vie dure, avec une charge mentale énorme. Du coup, professionnellement derrière, peut-être que les femmes osent moins, ambitionnent un peu moins. Et on reste cantonnées à notre condition de femme.

C’est un combat d’être une femme, mais c’est un combat qu’on a envie de mener parce que justement, quand on est des joueuses de rugby, on ne lâche rien sur le terrain et dans nos vies. Donc on est capables de casser les clichés et de répondre aux gens qu’on a le droit d’être une fille et de jouer au rugby, qu’on peut être lesbienne ou non et jouer au rugby, qu’on peut être féminine ou pas et jouer au rugby. En fait, on a le droit d’être qui on veut quand on joue au rugby”.

Crédit photo : Jérémy Babinet
Est-ce que tu trouves que les choses ont quand même évolué ?

“Avant, on voyait les femmes faire du sport en jupe pour garder leur féminité ou bien les femmes étaient simplement bonnes à remettre des récompenses aux champions. Et puis les femmes n’avaient pas le droit d’avoir leur compte bancaire, elles n’avaient pas le droit de vote. D’un côté, quand on voit d’où on part, on se dit que le combat est long mais que ça évolue quand même.

C’est juste qu’on aimerait qu’il aille un peu plus vite et qu’en 2021, on ait plus d’égalité”.

Qu’est ce qu’il faut faire pour faire changer les choses ?

“Ne surtout pas lâcher, dire les choses, dénoncer et faire prendre conscience des différences parce qu’il y a certains hommes qui aujourd’hui ne veulent pas les voir. Il faudrait plus de femmes dirigeantes aussi, ça serait top, parce que ce sont les dirigeants qui décident. Du coup, d’être à un poste de décideur c’est se donner plus de chances que ça change.

Les femmes, on a ce côté empathique un peu. Quand je suis arrivée dans le rugby et que j’ai pu entendre comment on était traitées… Ca fait ouvrir les yeux. On se dit qu’on existe et qu’on doit être prises en compte. On a envie d’être écoutées.

Mon combat « féministe », si je peux dire, est né de ça. Dans la société normale, peu de femmes ont conscience de ça. Elles ne se sentent pas lésées ou ne voient pas de différences entre elles et les hommes. Mais dans mon sport, il y a tellement d’inégalités qu’on ouvre peut-être plus facilement les yeux sur ça“.

Pourquoi n’y a t’il pas plus de sportives qui se considèrent féministes ? Même toi, quand tu en parles, tu mets des guillemets sur ce terme, pourquoi ?

“Aujourd’hui, être féministe, c’est juste vouloir l’égalité. Mais c’est vrai que j’avais beaucoup de mal avec ce terme-là parce que pour moi, ça représentait l’extrême, voire des révolutionnaires. Ca pouvait même être vu comme une insulte. En tout cas, on te cataloguait direct. Bon, finalement, je me dis que c’est un peu la même chose que lorsqu’on dit de toi que t’es écolo. Les gens ont toujours envie de te cataloguer.

J’étais pas féministe mais je le suis devenue parce que j’ai vu les différences de comportement, de comment on nous traitait. J’ai même pas envie de rentrer dans les détails pour ne pas faire de polémique. Mais je me suis dit qu’on se foutait quand même vraiment bien de notre gueule et j’ai eu envie de l’ouvrir.

Au travail, ils se rendent compte que je suis à fond sur ces sujets d’égalité hommes femmes parce que je l’ouvre beaucoup, et que je montre aux gens que c’est pas normal que les hommes aient droit à ça et pas nous. Mais en fait, on a tellement été habituées à l’inégalité… Et même quand t’ouvres ta bouche, on te met des bâtons dans les roues et même encore plus !”

Tu souhaites mener beaucoup de combats (éco-citoyenneté, égalité femmes-hommes). Tu dis qu’il faut plus de femmes dirigeantes. As-tu déjà songé à le devenir pour pouvoir agir dans tous ces domaines justement ?

“Dans l’avenir, je ne me ferme pas aux opportunités qui pourront s’offrir. Il y a des combats qui me tiennent à cœur, comme l’environnement qui est un combat auquel j’ai vraiment envie de prendre part. Je n’ai pas envie de me dire plus tard que j’étais au courant de tout et que je n’ai rien fait. Mais il y a aussi le combat de l’égalité hommes femmes qui m’intéresse.

Alors oui, pourquoi pas ! Peut-être que l’occasion se présentera. En tout cas, après ma carrière de joueuse, j’aurai envie d’agir et d’être une actrice qui fait bouger les choses. C’est vraiment ça qui me caractérise aujourd’hui : j’ai envie de faire bouger les choses. Alors oui, je peux être très chiante, je ne vais pas lâcher le morceau. Mais c’est que comme ça qu’on fait avancer les choses et donc, tant pis si je suis pénible, au moins j’ai ma conscience pour moi et je le fais dans l’intérêt général”.