En ce 8 mars 2021, journée internationale des droits des femmes, nous avons choisi de mettre à l’honneur ces figures du passé qui ont milité pour que les femmes puissent faire du sport librement. Alors que la statue d’Alice Milliat est inaugurée au siège parisien du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), nous pensons à sa comparse Marie Houdré, qui a fait partie des premières joueuses de rugby françaises dans les années 1920.
La doctoresse Marie Houdré, légende du rugby
La doctoresse Marie Houdré est considérée comme l’une des pionnières du rugby féminin. C’est à ce titre qu’elle a d’ailleurs été la première personne inscrite sur le Mur des Légendes à la FFR.
Dans les années 20, Marie Houdré est cheffe de laboratoire à la faculté de médecine de Paris. Elle est aussi Présidente de la commission médicale de la Fédération des sociétés féminines sportives de France (FSFSF) – dont la présidente est Alice Milliat. C’est aussi une amatrice et joueuse de barrette, l’ancêtre du rugby.

Le playdoyer de Marie Houdré sur les sports d’équipes le 1er janvier 1922
Le 1er janvier 1922 paraît le 9e numéro du journal “La femme sportive” lancé par la FSFSF et vendu 20 centimes de francs. Dans ce numéro, la doctoresse Marie Houdré explique les avantages, pour les jeunes femmes de pratiquer un sport d’équipe – dont le rugby.
Au siècle dernier, dans son introduction, la doctoresse dresse un constat qui, même exprimé avec le phrasé de l’époque, reste parlant pour les femmes d’aujourd’hui.
“Jouerai-je au ballon ? Pourquoi n’y pas jouer ? Voilà des questions que se pose la jeune fille qui entre dans une société sportive. Et son embarras peut être grand : elle a vu ses compagnes courir sur le terrain avec une joie si manifeste, qu’elle se sent bien disposée, elle aussi, à dépenser son souffle et ses jambes et sa malice pour s’emparer du ballon et le conduire au point propice ; mais… elle a entendu des gens de tous les calibres – vieux ou jeunes, gras ou maigres, sportifs ou podagres – déclarer que les sports d’équipes, les jeux de ballons, ne sont point affaires de femme, qu’on y perd sa grâce, qu’on y dépasse ses forces, qu’on y risque des accidents graves. Et, sur la touche, elle reste hésitante“.
Les avantages des sports collectifs
Marie Houdré met en avant les avantages pour la jeune fille de pratiquer un sport collectif. Tout d’abord, “il amuse, il intéresse, il passionne” et lui permet de ne pas perdre de temps dans les “joies médiocres” comme “le dancing, les bavardages et vagabondages de toute nature“.
Le sport permet aussi de se servir à propos de ses muscles, d’acquérir une résistance physique et de bénéficier d’un apprentissage moral. En effet, en respectant les règles du jeu, la jeune femme doit apprendre à “contraindre sa fantaisie, discipliner son impétuosité“.

Le rugby où le triomphe social sur l’individualisme
Marie Houdré parle comme personne des valeurs de solidarité et d’abnégation qui animent une joueuse de rugby. En effet, elle explique qu’il ne suffit pas de faire preuve de valeur personnelle pour être une bonne joueuse de rugby (ou de sport collectif). C’est, au contraire, “savoir être à sa place, servir à propos ses partenaires, s’effacer au bon moment ; c’est le triomphe de l’esprit social sur l’individualisme“.
Sa lutte contre les préjugés de genre
Bien évidemment, le discours féministe de Marie Houdré est à replacer dans le contexte des années 20 où la femme est réduite à sa condition d’épouse et de mère. A cette époque, on ne parle de pas de préjugés de genre, de sexisme et de société patriarcale comme aujourd’hui. La doctoresse met donc en avant les bienfaits du sport pour les femmes qui deviendront “une vraie compagne de vie, l’amie des bons et mauvais jours, la sûre gardienne du foyer“.
Cependant, son discours cherche à combattre des préjugés sexistes et à libérer les femmes de certains comportements genrés, culturellement acquis, et visant à réduire la femme à un être fragile et douillet qu’il faut protéger.
Les sportives sont des femmes fortes
A l’époque, il est courant que les femmes poussent des cris lorsqu’elles trébuchent, par exemple. C’est une image de la femme que Marie Houdré cherche à combattre. Elle explique : “la femme souffre beaucoup dans son corps, au cours de l’existence – plus que l’homme en général (…). Mais quelle attitude déplorable de geindre, de pleurer, de pousser un cri pour un faux pas, de frémir pour une goutte de sang ! Tout en dépensant du courage, elle donne une impression de faiblesse, d’inconsistance, presque de lâcheté. Cela disparaît avec la sportive qui a appris à supporter le froid et le chaud, la soif et la fatigue, et qui ne s’émeut pas d’un léger traumatisme“.
Et de conclure : “les hommes qui aiment en la femme le bibelot fragile et déraisonnable, dont on jouit mais qu’on n’estime pas, ceux-là seuls pourront s’en plaindre“.
Le krach boursier de 1929 marque le début de la Grande dépression. En 1939, la Deuxième guerre mondiale éclate. Le sport féminin opère alors un net recul. Le football féminin ou le cyclisme, par exemple, sont interdits sous le régime de Vichy. Il faudra beaucoup de temps pour que les femmes puissent retrouver librement le chemin des terrains.
“N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant“
Simone de Beauvoir