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Coup de tonnerre à Bayonne ce mardi 16 Novembre 2021. Le conseil d’administration de l’Association Sportive Bayonnaise décide de déclarer forfait pour le reste de la saison laissant, sur le carreau, des Neskak abasourdies par la nouvelle. Celles qui évoluaient au plus haut niveau du rugby féminin ne joueront plus cette année. Et si le forfait est confirmé auprès de la FFR, des sommets du rugby féminin, elles dégringoleront en fédérale 2 la saison prochaine.

Que s’est-il passé à Bayonne ? Comment ce club, qui a formé Céline Ferrer, Pauline Bourdon, Camille Cabalou ou Lauriane Lissar, a pu en arriver là ? Rappel des faits.

La lettre ouverte et la grève le dimanche 7 Novembre.

Dimanche 7 Novembre, dans une lettre ouverte, les joueuses de l’Association Sportive Bayonnaise refusent de jouer leur match contre le Stade Toulousain. Les raisons invoquées sont multiples.

Tout d’abord, l’équipe actuelle repose sur un effectif réduit, suite à de nombreuses blessures et départs successifs de leurs meilleures joueuses, et doit faire appel à de plus en plus de remplaçantes piochées dans l’équipe de réserve. Ces dernières, surtout les premières lignes, prennent alors un risque pour leur intégrité physique lorsqu’elles sont alignées face à des athlètes très entraînées.

Les Neskak déplorent ensuite le manque de moyens systémique auquel les joueuses et le staff doivent faire face. Ce manque criant de moyens creuse l’écart entre l’ASB et les meilleurs clubs tels que Montpellier, Toulouse ou Romagnat, par exemple.

Ce qu’on lit, entre les lignes, c’est aussi un manque de considération des dirigeants et une dénonciation de comportements sexistes et paternalistes lorsque ceux-ci qualifient de « caprices de princesses » l’exigences des joueuses.

Comme le résument les basques : « aujourd’hui, jouer avec courage ne suffit plus, le manque d’investissement du Club entache les efforts faits par nous les joueuses ». Et de conclure : « par ce refus de jouer, nous souhaitons tirer la sonnette d’alarme (…) nous sommes conscientes de nos responsabilités en tant que joueuses et nous nous engageons à nous investir sportivement comme nous l’avons toujours fait ».

Hélas pour elles, le conseil d’administration du club ruinera tous leurs espoirs et leur futur de joueuses de haut niveau.

L’emballement médiatique

Si on déplore souvent le manque de moyens investis dans le sport féminin, on peut toutefois saluer le fait que le sujet soit de plus en plus mis en lumière.

A la suite de la publication de la lettre ouverte sur leurs réseaux sociaux, les médias le portent à la connaissance du grand public. Nos confrères de France Bleu, Sud Ouest, France Info, entre autres, médiatisent la grève des joueuses basques et mettent un coup de projecteur sur leurs revendications.

D’autres clubs de rugby féminin relaient également la lettre ouverte en soutien à l’AS Bayonnaise. Certaines internationales, alors en pleine tournée d’Automne, prennent parti à leur tour.

Evidemment, les réactions des amateurs de rugby ne se font pas attendre. Sur les réseaux sociaux, les messages de soutien pleuvent. Les personnes qui suivent le rugby féminin déplorent le manque de moyens des clubs et tous souhaitent voir évoluer la situation de manière positive pour les bayonnaises.

La réaction de l’AS Bayonnaise « à chaud »

Suite à la grève des joueuses et son emballement médiatique, le président de l’ASB réagit sur France Bleu Pays Basque. Et force est de constater que l’initiative des joueuses a été mal reçue par le dirigeant du club. Gilles Peynoche déclare ainsi ne pas comprendre le cri du cœur et le coup de gueule de ses joueuses : « quand on a des filles depuis 30 ans et qu’on a toujours favorisé l’accès des femmes au sport et le rugby féminin, donc on ne peut pas comprendre à la fois la violence de ce mouvement ». Ne pas avoir joué la rencontre contre Toulouse ne passe pas pour le Président du club. Pour lui, les mêlées auraient pu être simulées et les filles auraient pu jouer en effectif réduit.

Le président de l’ASB ne nie pas les difficultés de son club à faire face aux exigences du haut niveau cette saison. Mais il se défend de ne pas faire d’efforts. Il met ainsi en avant la kiné « qui nous est quasiment dédiés depuis deux ans » ou le partenariat avec l’Aviron Bayonnais pour la mise à disposition d’un préparateur physique et d’une salle de musculation.

Finalement, Gilles Peynoche invoque un manque de moyens et réclame du temps pour faire évoluer le club. Piqué au vif, il critique l’implication de ses joueuses : « moi, je comptais vraiment sur elles pour avoir ce supplément d’âme. Visiblement, certaines ne l’ont pas ».

Cette interview montre bien le fossé qui sépare les dirigeants de leurs joueuses de l’Elite 1. Alors que ces dernières réclament des moyens pour progresser, le club leur rétorque de compenser le manque d’entraînement et de préparation par des ressorts psychologiques et motivationnels. Et chacun campe sur ses positions.

La réaction de l’AS Bayonnaise « à froid »

Quelques jours plus tard, mardi 16 Novembre 2021, le conseil d’administration de l’Association Sportive Bayonnaise se réunit pour discuter de la situation et décider de l’avenir de l’équipe. Quelques heures plus tard, les membres du CA décident à la majorité de déclarer forfait général de l’équipe d’Elite 1 pour le reste de la saison. C’est la douche froide pour toutes les joueuses et le staff.

Nos confrères de France Bleu recueillent alors quelques réactions des membres du CA :

Au sein du Conseil d’administration, on estime que la ligne rouge a été franchie par “les joueuses qui ont voulu se rebeller”. “C’est l’institution ASB et toute l’histoire de ce club de la rive droite qu’elles ont mis en danger” en agissant de la sorte évoque un autre membre. “Ça ne pouvait pas continuer comme ça”, conclut une troisième personne du CA.

Extrait de l’article publié sur France Bleu

Si les réactions relatées par France Bleu reflètent plutôt la volonté de punir les joueuses “rebelles”, le communiqué de presse diffusé sur le site du club est beaucoup plus nuancé. Dans ce dernier, le club déplore son incapacité à assurer la sécurité de ses joueuses et décide de déclarer forfait afin de les protéger. Il précise également les efforts financiers investis dans la section féminine et réaffirme son engagement depuis 1992 pour la pratique du rugby féminin et l’accès des femmes au sport.

Quelle issue peut-on envisager ?

Pour le moment, le dialogue semble rompu. Et si le forfait est confirmé auprès de la FFR, la saison des joueuses des Neskak est terminée. D’un point de vue extérieur, cette décision irrémédiable semble avoir été prise très rapidement et la question qui se pose désormais c’est l’issue de ce conflit ouvert. Le club et les joueuses parviendront-ils à se réconcilier et à repartir sur de nouvelles bases ? Difficile à imaginer tant la déception et la vexation est grande des deux côtés.

L’histoire des Neskak est en tout cas symptomatique d’un manque cruel de moyens du sport et du rugby féminin. Et les bayonnaises, qui ont eu le courage de dénoncer leur situation, sont malheureusement en train d’en payer le prix fort.

La mairie de Bayonne souhaite réunir toutes les parties prenantes de ce conflit pour tenter de trouver une solution apaisée. Affaire à suivre donc !