Nous avons décidé de partir à la rencontre de joueuses de rugby fauteuil. A travers leurs portraits, nous découvrons les valeurs communes à tous les rugbys telles que la solidarité, la convivialité, l’esprit d’équipe et le dépassement de soi.
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Aujourd’hui, nous vous présentons Camille Kerneguez de l’équipe de rugby fauteuil de Montpellier. Cette jeune femme, diplômée d’un master en négociations de projets internationaux, nous fait part de sa passion pour ce sport et nous livre, avec sincérité, tous les obstacles auxquels certains joueurs peuvent être confrontés dans leur pratique.
Crédit photo : Marc Santoni
Camille Kerneguez, comment es-tu arrivée au rugby ?
Au départ, je vivais en région parisienne mais je suis partie m’installer à Nantes pour effectuer ma licence de langues étrangères. A l’Université de Nantes, il y a un relais handicap dont le but est d’accompagner les étudiants en situation de handicap à travers la fac. Je suis allée les voir pour leur demander conseil parce que j’avais envie de faire un sport collectif, un sport qui envoie ! Le responsable du relais m’a parlé de l’équipe de rugby fauteuil de Carquefou et m’a conseillé de me rapprocher d’eux.
Alors je suis allée les voir lors des phases finales de N1. C’était très impressionnant. En les voyant jouer, je me suis dit : « wow, c’est ça que je veux faire ! ». Ma mère m’a répondu : « t’es sûre ? » (rires). Mais oui, j’étais sûre de moi.
J’ai rapidement contacté Sébastien Lhuissier, le dirigeant. On a fait des tests et puis j’ai commencé à jouer avec l’équipe 2 qui évoluait en Nationale 2.
Après, j’ai déménagé à Montpellier pour faire mon Master négociations de projets internationaux et j’ai intégré l’équipe des Sharks de Montpellier handi rugby.

Que pense ta mère de ta pratique du rugby aujourd’hui ?
Elle adore ! Elle voit que ce sport me passionne, que je fais mes choix de vie en fonction du rugby fauteuil. Par exemple, j’ai choisi mes lieux d’études et de stage en fonction des clubs de rugby. Et puis, plus tard, j’aimerais bien pouvoir allier ma passion pour les langues étrangères, les échanges internationaux et le rugby.
Ma mère sait que ce sport me rend joyeuse, heureuse. Et je crois qu’elle est hyper fière.
Qu’est ce qui te plaît dans le rugby fauteuil ?
Ce qui me plaît le plus, c’est l’intensité qu’on développe pendant les phases de jeu, le dépassement de soi, le lâcher prise et le contact, le côté « auto-tamponneuse ». Pour les gens qui viennent nous voir jouer, c’est très impressionnant tous ces contacts parce que ça fait un bruit très très fort. Et puis parfois, ça pue avec les pneus qui éclatent (rires).
J’adore aussi le sport en lui-même avec son mix de règles qui est assez cool. Et j’aime de plus en plus l’aspect collectif. Parce que si on veut être vraiment performant, on doit jouer à 4 sur le terrain et exploiter au maximum les capacités de chacun.
Par exemple, moi je suis “petits points”. Je suis classée 1,5 et donc je joue à 1 sur le terrain [voir notre article le rugby fauteuil au féminin pour comprendre le système de classification]. Et nous, les “petits points”, on fait un peu le travail de l’ombre avec notre rôle défensif. Mais si on n’endosse pas bien cette responsabilité, les offensifs ne pourront pas être performants non plus. Il faut donc vraiment penser collectif.
Par contre, même si j’adore vraiment ce sport et mon équipe, je commence à ressentir des limites physiques dans sa pratique.

Quelles sont ces limites ?
La première limite est très personnelle. Depuis la naissance, je suis IMC (informe moteur cérébral), j’ai beaucoup de raideurs musculaires. Je suis des séances de kiné et je fais de la rééducation pour sans cesse assouplir et rééduquer mes muscles. Je ne peux pas marcher toute la journée, c’est trop fatigant. Mais je ne dois pas non plus rester en fauteuil trop longtemps car cette posture induit des raideurs trop intenses. Dans ma vie de tous les jours, je dois donc alterner entre la marche et le fauteuil.
Lorsque je joue au rugby, cela me demande tellement d’intensité et de concentration que je me contracte énormément. Ca me déclenche des douleurs très importantes dans le dos et les épaules et surtout dans les jambes. Et parfois, la douleur est telle qu’elle ne peut être compensée par le plaisir de jouer.
L’autre limite est liée à mon évolution au sein de ce sport. Parce que pour aller plus loin, il faudrait réaménager les entraînements pour que je puisse faire de la natation après le rugby et avoir des séances de kiné le lendemain. Et puis, à mon niveau de classement, il y a déjà d’excellents joueurs, parmi les meilleurs mondiaux, donc c’est compliqué de se projeter sur le haut niveau.
Mais je rêverais qu’une joueuse déterminée, comme Orane Brouillet (lire notre article : Orane Brouillet se hisse vers le haut niveau du rugby fauteuil), avec de grande capacités physiques et mentales puissent évoluer en équipe de France.
Et puis la dernière limite est financière. La pratique handi-sport n’est pas ouverte à tout le monde. Par exemple, un fauteuil de rugby coûte 10 000 euros neuf. Si on n’a pas la chance d’avoir les moyens ou suffisamment d’aides, c’est un sport qui n’est pas accessible.
Le rugby fauteuil est un sport mixte, est-ce un atout ?
Il y a peu de femmes qui jouent au rugby fauteuil en compétition. J’ai souvent été la seule dans mon club. Et comme je suis la seule, cela attire l’attention.
Mais moi, en tant que seule femme dans une équipe d’hommes, je ne m’autorisais aucune erreur ou faute parce que j’avais envie d’être perçue comme la fille qui joue, qui va vite. Je m’en voulais même de ne pas être plus rapide. Parce que ce sont ces joueurs là qu’on repère sur le terrain. On voit moins le travail de l’ombre qui est fait par les profils défensifs. Et au début, je voulais vraiment être ce joueur qu’on repère sur le terrain, pas parce que c’est une femme, mais parce qu’il évolue vite et qu’il est le plus puissant. C’était propre à moi, à mon rapport au pouvoir et aux rapports de genre je crois. Je ressentais toujours le besoin de prouver quelque chose.
Petit à petit, j’essaie de lâcher de plus en plus. J’ai la chance d’évoluer avec des coéquipiers bienveillants. Nous entretenons des rapports très sains et personne ne me donne la sensation d’être traitée différemment.

Tu as déjà participé deux fois à la Women’s cup, un tournoi international 100 % féminin. Tu peux nous en parler ?
C’était vraiment très agréable de pouvoir se retrouver dans un milieu féminin avec des joueuses venant de pays étrangers. J’ai adoré échanger avec elles en langues étrangères.
En France, en National 2, on joue toujours plus ou moins contre les mêmes équipes et les mêmes joueurs. On connaît bien leurs forces et faiblesses. Mais là, on s’est confrontées à différentes stratégies et on a aussi pu appréhender la différence de culture dans le rapport au jeu. Par exemple, les japonaises ne jouent pas du tout de la même manière que les américaines.
Avec mes coéquipières françaises, on n’était pas du tout à côté de la plaque. Il y avait de vrais impacts. C’était vraiment très cool, j’en garde de très bons souvenirs.
Est-ce que tu peux nous parler un peu de ton club à Montpellier ?
A Montpellier, notre équipe évolue en Nationale 2. On a été deux fois vice champions de N2. A chaque fois, on a perdu en finale contre les Black Chairs de Nuits-Saint-Georges (à côté de Dijon). Cette année, on a donc pour ambition de devenir champions.
Notre club a également créé une entente qui évolue en Nationale 1.
Et puis on a aussi une équipe de rugby à 7. C’est un sport dont les règles sont très proches du rugby classique car on joue avec un ballon de rugby, on fait des passes en arrière, il faut aplatir le ballon derrière la ligne d’en-but etc. Ce sport s’adresse aux paraplégiques puisqu’il faut avoir l’usage de ses membres supérieurs. Mais les valides peuvent également y jouer.

Est-ce que le club a des liens avec le MHR ?
On essaie de développer des liens avec le MHR. Certains joueurs viennent essayer le rugby fauteuil. Mais contrairement à d’autres clubs de rugby fauteuil, les Sharks ne sont pas rattachés au club de rugby de leur ville.
Comment se déroulent les entraînements ?
On n’avait qu’un créneau le mercredi soir de 18h à 20h. Mais maintenant, on a un créneau supplémentaire le lundi soir de 20h à 22h.
C’est difficile de trouver des salles disponibles pour s’entraîner. Montpellier est une grande ville et il y a beaucoup d’équipes qui demandent des créneaux. En plus, dans certains gymnases, ils ont peur qu’on abîme le revêtement avec nos fauteuils.

Est-ce que tu peux nous parler un peu du staff ?
Autour des joueurs, il y a deux coachs, un kiné, un mécano et beaucoup de bénévoles.
Au rugby fauteuil, la mécanique est très importante. Avec les impacts entre fauteuils et l’intensité des déplacements, les pneus crèvent ou éclatent, les fauteuils prennent de gros chocs.
Le staff bénévole nous aide à nous mettre sur les fauteuils, à sangler les joueurs et à mettre les gants. Et puis ils nous scotchent les gants, les jambes.. et ça en fait beaucoup à mettre ! Ils gonflent les pneus et réparent les rustines. Ils nous aident aussi à décharger et charger nos fauteuils qui sont stockés dans un camion. Et puis, quand il manque des joueurs à l’entraînement, ils viennent en renfort sur le terrain. En général, ce sont des services civiques ou des proches des joueurs.
As-tu une anecdote à partager avec nous sur le rugby ?
Avant nos matchs, on a un rituel, un cri pour nous motiver. Manu, le président du club qui est un ancien rugbyman hyper baraque avec la voix qui porte, crie « Montpellier » et tout le monde répond en chœur “Sharks”. Mais quand je suis arrivée dans le club, Manu m’a proposé de lancer le cri. Au début, je ne voulais pas, je n’avais pas envie d’être considérée comme une mascotte. Mais ils ont insisté et un jour, ils m’ont mise devant le fait accompli. Alors, j’ai pas eu le choix, je me suis lancée. Finalement, ça m’a plu. Depuis, c’est moi qui lance le cri de l’équipe avec ma voix aiguë !
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